mardi 30 octobre 2007

Pourquoi certains détestent-ils le Hummer?

La consommation d’essence élevée du Hummer et les préoccupations à l’égard du réchauffement climatique sont les principales raisons évoquées par les détracteurs de ce véhicule. Bien que ces facteurs ne soient pas totalement étrangers à ce sentiment négatif, ce ne sont pas là les raisons véritables; la vérité est ailleurs. Ce que les gens détestent ce n’est pas sa gloutonnerie en carburant, ni vraiment sa taille, puisqu’on peut trouver des véhicules, tels le Lincoln Navigator et le Cadillac Escapade, qui consomment tout autant d’essence et sont presque aussi gros. Compte tenu de l’opprobre de la communauté internationale à l’égard de l’intervention américaine en Irak et de l’opposition d’une majorité d’Américains à celle-ci, l’origine militaire du véhicule est un facteur aggravant, mais encore là insuffisant pour justifier un sentiment de haine; la Jeep est également d’origine militaire et personne ne la déteste. Nous devons donc chercher ailleurs.

Alexandre Sutherland Neill nous apprend que l’amour et la haine ne sont en fait qu’une seule et même chose : « L'amour et la haine ne sont pas des opposés. L'opposé de l'amour est l’indifférence. La haine est une autre face de l’amour – un amour contrarié. La haine contient toujours un ingrédient de crainte » (A. S. Neill, Summerhill, A radical approach to education, Londres, Victor Gollancz, 7e impression, 1973, p. 301). Ce que certains détestent, c’est plutôt la personnalité du Hummer, probablement parce que celle-ci leur fait un peu peur, avec raison d’ailleurs, quand on considère l’apparence du véhicule, les slogans et arguments publicitaires qu’on utilise pour le vendre, et parfois même, le comportement agressif d’un Rambo croisé au hasard de la route!

Des roues dont la taille permet au Hummer d’« escalader des barricades verticales de 40 cm de hauteur », une garde au sol qui place sa calandre à la hauteur de votre nez, calandre qui évoque déjà la gueule béante d’un animal aux dents acérées, convenons que ce sont là des éléments qui peuvent en intimider plus d’un. Les spécialistes du marketing nous disent que la publicité est conçue pour un segment de marché bien particulier, de sorte qu’elle peut laisser froides des personnes qui ne sont pas visées, voire leur déplaire. Néanmoins, la publicité a un impact sur celles-ci! Croyez-vous vraiment que les arguments publicitaires agressifs cités dans un blog précédent, dont le meilleur exemple est le fameux « Move in for the thrill », peuvent laisser indifférentes les personnes qu’ils ne ciblent pas? Au contraire, ils peuvent facilement engendrer un sentiment d’aversion instinctive ou de crainte, voire la peur chez des personnes plus sensibles que d’autres.

Finalement, sans affirmer que tous les conducteurs de Hummer sont des Rambos de la route, il est impossible de croire que les arguments publicitaires utilisés n’exercent aucune influence sur eux. Le simple fait qu’ils ont acheté un Hummer contredit cette hypothèse.

mardi 23 octobre 2007

L’identité du Hummer

En février dernier, j’ai reçu un courriel d’un propriétaire de Cadillac CTS; celui-ci affirmait que pour acheter un véhicule il fallait qu’il « tombe d'abord en amour » avec. Dans une entrevue à PBS, Clotaire Rapaille abonde dans le même sens : « Le PT Cruiser est une voiture [qui] quand les gens le voient, ils disent, “Wow, j’en veux un.” Certaines personnes le détestent; on s’en fout. Il y a assez de personnes qui disent, “Wow, j’en veux un” pour faire un grand succès. [...] Qu'est-ce qui fait du PT Cruiser une voiture reptilienne? D'abord, la voiture a une identité forte. Ce que des personnes nous ont dit est que “Nous sommes fatigués de ces voitures qui n'ont aucune identité. J'offre une bonne qualité, une bonne consommation d’essence, et toutes sortes d’autres bonnes choses, mais quand je vois la voiture à une certaine distance, je dois attendre que la voiture soit proche pour savoir ce que c’est, et je dois lire le nom.” Quand vous allez voir votre mère, elle n'a pas besoin de lire votre nom pour savoir qui vous êtes, vous voyez? Nous voulons ce lien reptilien. Et ainsi cette notion d'identité, absolument clef, était très reptilienne pour une voiture. »

Le PT Cruiser est un véhicule de type break (station wagon), au design un peu rétro, qui a plu à un segment de marché, à un point tel que General Motors a ressenti le besoin de produire un véhicule similaire, la Chevrolet HHR, que GM classe comme un VUS; la notion d’identité est toutefois la même pour tous les véhicules. Le Hummer est lui aussi un véhicule avec une personnalité forte. Voici ce que Rapaille pense de ce dernier et de la publicité utilisée pour en faire la promotion : « Le Hummer est une voiture avec une identité forte. C'est une voiture dans un uniforme. Je leur ai dit, mettez quatre étoiles sur l’épaule [aile] du Hummer, vous vendrez mieux. Si vous regardez la campagne, brillante. Je n'ai aucun crédit à cet égard, je veux simplement que vous sachiez, mais brillante. Ils disent, “Vous nous donnez l'argent, nous vous donnons la voiture, personne n’est blessé.” J’adore ça! C’est comme si la mafia vous parle. [...] Ils ne vous disent pas, “Achetez un Hummer parce que vous obtenez une meilleure consommation d’essence.” Ce n’est pas la chose à faire. C'est un élément qui relève du cortex. Ils s’adressent à votre cerveau reptilien. » C’est une conception un peu particulière de la vente et du marketing, à laquelle je ne souscris pas. Je dois néanmoins m’incliner devant l’évidence; cette approche fonctionne auprès d’un segment de la population.

Comme nous venons de le voir, que certains détestent le Hummer ne saurait préoccuper General Motors outre mesure. Tout au plus les dirigeants de cette filiale de GM entendent-ils se concentrer sur le modèle H3, moins gourmand en essence, et offrir un modèle un peu plus petit, le H4, en 2010. (Site Web du Hummer, consulté le 15 août 2007) Cependant, je vois cette stratégie comme une descente en gamme (B. Duguay, Consommation et luxe, La voie de l’excès et de l’illusion, Montréal: Liber, 2007) davantage qu’une tentative de séduire les adversaires du Hummer, une réaction au déclin des ventes du modèle H2 de 22 % en 2005 et de 27 % en 2006. (N. Bérubé, « Le Hummer sur une voie de garage », La Presse, 30 mai 2007, p. A24.) Encore là, je ne vois pas le H2 disparaître, car, pour certains, sa seule consommation d’essence n’est pas une justification suffisante pour s’en priver; la consommation d’essence est un facteur rationnel qui peut décourager certaines personnes, mais pas les vrais aficionados. D’ailleurs, si le prix de l’essence retombe un tant soit peu, comme ça semble être le cas à l’été et à l’automne 2007, je ne serais pas du tout surpris de voir les ventes du H2 remonter, ou du moins cesser de décroître.

mardi 16 octobre 2007

Les acheteurs de VUS

Qui sont les acheteurs de VUS? Se fondant sur d’importantes études de marché réalisées année après année pour le compte de l’industrie automobile, voici comment Keith Bradsher les décrit : « Ils tendent à être des gens peu sûrs d’eux-mêmes et vains. Ils sont fréquemment nerveux à propos de leurs mariages et inconfortables au sujet de leur condition parentale. Ils manquent souvent de confiance en leurs habiletés à conduire un véhicule. Surtout, ils sont susceptibles d'être égocentriques (self-centered) et égoïstes (self-absorbed), avec peu d'intérêt pour leurs voisins ou communautés (K. Bradsher, High and Mighty, SUVs – The world’s most dangerous vehicles and how they got that way, New York, Public Affairs, 2002, p. 101). »

Ce serait donc l’instinct de survie et des attentes visant une sécurité maximale, sans se soucier des conséquences sur autrui, qui pousseraient les gens à favoriser les VUS, plus particulièrement le Hummer, auquel l’origine militaire confère une image particulièrement robuste. La taille démesurée du véhicule, surtout dans le cas du Hummer H2, permet également à ceux qui le conduisent de dominer la route, au propre comme au figuré. Or, dans « Consommation et luxe, La voie de l’excès et de l’illusion » (en librairie le 13 novembre), je mentionne qu’on retrouve dans le luxe une volonté de dominer les autres, faisant du Hummer un objet de pouvoir.

La publicité du Hummer participe à créer ce sentiment de domination, en accentuant l’image guerrière du véhicule. À votre entrée sur la page d’accueil du Hummer (site Web canadien version anglaise du Hummer, consulté le 15 août 2007), on vous présente un écran de fumée noire, très évocateur d’un champ de bataille, derrière lequel se cache le nouveau Hummer H3 Édition limitée, avec le slogan « Move in for the thrill » ; ceci est un jeu de mots à saveur très agressive fondée sur l’expression « Move in for the kill », qui évoque la mise à mort, sous-entendue, d’un ennemi. Une autre formule publicitaire « 48 units are now standing by » (48 unités en état d’alerte) renforce encore l’image militariste du véhicule. La publicité étant une influence culturelle importante, doit-on s’étonner si on rencontre à l’occasion un conducteur de Hummer un tant soit peu agressif? Dans un tel cas, il se pourrait que Rapaille ait raison; le cerveau reptilien domine, l’instinct sauvage supplante la raison et les émotions.

mardi 9 octobre 2007

Hummer VS MINI

Dans les prochaines semaines, je vous invite à une série de sept chroniques portant sur le thème : pourquoi aime-t-on… ou déteste-t-on un véhicule? Pour éclairer cette question, je vais utiliser deux véhicules aux antipodes quant à la philosophie qui les sous-tend : le Hummer et la MINI. Commençons par le plus gros.

Le Hummer fait partie d’une classe de véhicules communément appelés Véhicules Urbains Sportifs (VUS), ou 4X4; ils sont issus du Jeep, un véhicule qui a connu ses heures de gloire sur tous les théâtres d’opérations de la Seconde Guerre mondiale. Conçu à l’origine par l’American Bantam Car Company, c’est à Willys-Overland et à Ford que l’armée américaine accorde des contrats de fabrication en 1941. Après la guerre, Willys-Overland continue seule la production, Ford n’étant pas intéressée; l’entreprise est vendue à Kaiser en 1953, qui poursuivra la production. Kaiser est rachetée par AMC en 1970, qui s’associe avec Renault en 1979; en 1987, Renault vend sa participation à Chrysler, attirée par la division Jeep d’AMC (Site Web 4wheelz).

Le Hummer ne laisse personne indifférent; certains l’aiment énormément, d’autres le détestent tout autant. En fait, peu de véhicules, voire aucun, ne suscitent une telle passion; avez-vous déjà entendu quelqu’un dire qu’il détestait une Jeep, une Land Rover, une Ford Explorer, une Chevrolet Suburban... qui sont pourtant des véhicules de type VUS? Que faut-il comprendre de ces réactions?

Parlons tout d’abord de ceux qui aiment le Hummer. Les VUS sont devenus très populaires en Amérique du Nord dans les années 1990. Clotaire Rapaille nous apprend qu’il faut chercher dans la structure du cerveau la raison de cette popularité, lequel comporte trois parties : le cortex, le système limbique et le cerveau reptilien. La première se charge de la logique, de l’apprentissage, de la pensée abstraite et de la créativité. La seconde est le siège de nos émotions, qui l’emportent souvent sur la raison. La troisième est un reliquat du cerveau des reptiles; cette zone recèle les instincts de survie et de reproduction. « Puisque la survie est plus fondamentale à notre existence que le fait “de se sentir bien” ou “d’être compréhensible”, le cerveau reptilien prédomine toujours. Dans une bataille entre la logique, l'émotion, et l'instinct, le cerveau reptilien gagne toujours. C'est vrai pour le bien-être personnel, les rapports humains, les décisions d’achat, et même [...] le choix des leaders (C. Rapaille, The Culture Code, New York, Broadway Books, 2006, p. 74). »

Pour ma part, je ne suis pas aussi catégorique; je dirais plutôt que chez certaines personnes, dans des circonstances particulières, l’instinct l’emporte sur la raison et les émotions. Chez d’autres, dans un contexte différent, ce sera plutôt la raison ou les émotions qui prédomineront. En fait, j’ai l’intuition qu’il existe un lien étroit entre la prédominance de l’une ou l’autre des facettes du cerveau et l’image de soi. Pour l’instant, je n’ai malheureusement pas de données empiriques pour appuyer mon hypothèse intuitive.

J’aimerais savoir ce que vous pensez de la théorie du cerveau reptilien.